L’Étude de Monsanto sur le Glyphosate Rétractée 25 Ans Après

L’Étude de Monsanto sur le Glyphosate Rétractée 25 Ans Après

La rétractation d’une étude scientifique majeure sur le glyphosate, survenue vingt-cinq ans après sa publication initiale en l’an 2000, représente un événement sismique qui remet en question les fondements de la confiance accordée à la recherche financée par des intérêts privés. Ce travail, qui avait à l’époque conclu à l’innocuité de l’herbicide Roundup, produit phare de Monsanto, a servi de socle à d’innombrables décisions réglementaires à l’échelle mondiale, influençant les politiques agricoles et sanitaires sur plusieurs continents. Sa suppression tardive du registre scientifique, justifiée par la mise en lumière de conflits d’intérêts critiques et d’une participation secrète de l’entreprise à sa rédaction, expose de manière crue les vulnérabilités du système de publication académique. Cet épisode soulève des interrogations fondamentales sur l’intégrité de la science lorsque celle-ci est confrontée aux puissants impératifs commerciaux d’une multinationale, mettant en évidence une controverse qui a couvé pendant plus de deux décennies avant d’éclater au grand jour.

Les Dessous d’une Rétractation Historique

L’Influence d’une Étude Compromise

Publiée dans la revue « Regulatory Toxicology and Pharmacology », l’étude en question est rapidement devenue une référence incontournable, se hissant parmi les travaux les plus cités sur la toxicologie du glyphosate. Son influence fut particulièrement déterminante pour les agences gouvernementales chargées d’évaluer les risques des pesticides. Son apparition coïncidait avec l’essor fulgurant des cultures génétiquement modifiées « Roundup Ready », conçues pour résister à l’herbicide, ce qui a entraîné une augmentation exponentielle de son utilisation à travers le monde. Dans ce contexte, l’étude a fourni une caution scientifique précieuse, voire indispensable, pour Monsanto. En affirmant que le produit ne présentait aucun danger notable pour la santé humaine, elle a permis de rassurer les régulateurs et le public, justifiant ainsi le maintien et l’expansion de son autorisation sur le marché. Cette validation apparente a perduré pendant plus de deux décennies, façonnant les politiques publiques malgré les doutes précoces qui pesaient sur l’indépendance et la probité de ses conclusions et de ses auteurs.

L’emprise de cette publication sur le discours réglementaire s’est maintenue en dépit de signaux d’alarme émis très tôt par une partie de la communauté scientifique. Dès 2002, soit à peine deux ans après sa parution, une lettre ouverte signée par une vingtaine de chercheurs avait déjà pointé du doigt des conflits d’intérêts, un manque de transparence et une indépendance éditoriale douteuse au sein de la revue, en mentionnant spécifiquement l’influence de Monsanto. Cependant, ces avertissements sont restés lettre morte. Il a fallu attendre le tournant de 2017 pour que la situation bascule. La publication de documents internes à Monsanto, obtenus dans le cadre de procédures judiciaires aux États-Unis, a apporté la preuve irréfutable de l’implication directe de l’entreprise dans la conception et la rédaction de l’étude. Cette chronologie met en évidence une défaillance systémique profonde : bien que l’alerte ait été donnée quasi immédiatement, il aura fallu près d’un quart de siècle et des révélations issues de litiges pour qu’une action corrective soit enfin engagée par l’éditeur scientifique.

Les « Lacunes Critiques » Révélées

La décision de la revue de retirer l’article de ses archives repose sur une série de « lacunes critiques » qui en invalident complètement la crédibilité scientifique et éthique. Le premier manquement majeur réside dans une omission délibérée et stratégique. Les auteurs ont sciemment choisi d’ignorer un corpus de recherches existantes qui suggéraient des liens potentiels entre une exposition au glyphosate et le développement de certains types de cancer. En écartant ces données contradictoires, ils ont présenté une vision tronquée et partiale de la littérature scientifique disponible à l’époque. Cette sélection orientée des preuves a permis de construire une argumentation favorable à l’innocuité du produit, mais elle constitue une violation fondamentale des principes de rigueur et d’objectivité qui doivent gouverner toute démarche scientifique. L’analyse présentée était donc non seulement incomplète, mais également conçue pour induire en erreur les évaluateurs, les régulateurs et le public sur le profil de risque réel de l’herbicide.

Au-delà de cette manipulation des données, deux autres failles majeures ont été identifiées. La première est la non-divulgation de la participation active d’employés de Monsanto à la rédaction même du manuscrit. Cette pratique, connue sous le nom de « ghostwriting » ou écriture fantôme, consiste à faire rédiger un texte par des personnes liées à l’entreprise dont le nom n’apparaît pas dans la liste des auteurs, masquant ainsi la véritable origine et les intérêts commerciaux qui sous-tendent la publication. La seconde lacune, tout aussi grave, est l’absence de déclaration des avantages financiers que les auteurs académiques avaient perçus de la part de Monsanto. Ce manquement à l’obligation de transparence constitue un conflit d’intérêts majeur. En cachant ces liens financiers, les auteurs ont privé les lecteurs et les évaluateurs par les pairs d’informations essentielles pour juger de l’impartialité de leur travail, sapant ainsi la confiance qui est au cœur du processus de validation scientifique et de la diffusion des connaissances.

Réactions et Chronologie d’un Scandale

Une Correction Tardive mais Saluée

La réaction de la communauté scientifique face à cette rétractation a été largement unanime, saluant une décision jugée nécessaire et juste, mais regrettant amèrement son extrême tardiveté. Des figures éminentes comme Naomi Oreskes, historienne des sciences à l’université de Harvard, se sont déclarées « très satisfaites » de cette résolution « attendue depuis longtemps », tout en soulignant l’urgence pour le monde académique de développer de « meilleurs mécanismes pour identifier et retirer les articles frauduleux ». Lynn Goldman, de l’université George Washington, qui était cosignataire de la lettre d’alerte de 2002, a confirmé que les motifs invoqués pour la rétractation correspondaient précisément aux accusations formulées à l’époque, validant ainsi les préoccupations que son groupe et elle-même avaient soulevées plus de vingt ans auparavant. Ce consensus montre à quel point l’intégrité de cette publication était mise en doute depuis longtemps dans les cercles scientifiques informés, bien avant que des mesures officielles ne soient prises.

En contraste frappant avec ce consensus, la position de Monsanto, aujourd’hui propriété de Bayer, consiste à minimiser son implication et à défendre la validité de ses actions passées. L’entreprise maintient que son produit phare est sans danger et que sa participation à la rédaction de l’article, bien que reconnue, « n’a pas atteint un niveau nécessaire pour en déclarer la paternité ». Elle soutient également que cette contribution aurait été « correctement divulguée dans les remerciements », une affirmation qui est directement contredite par les motifs officiels de la rétractation publiés par la revue. Cette ligne de défense est d’autant plus fragilisée par les preuves issues des documents internes. Des courriels révélés lors des procès montrent par exemple une scientifique de l’entreprise envisageant d’offrir des tee-shirts à l’effigie du Roundup pour remercier le « groupe de personnes » ayant contribué à l’étude, une anecdote qui illustre le degré de familiarité et de collaboration dissimulée. L’entreprise a refusé de commenter cette information spécifique.

La Partie Émergée de l’Iceberg ?

De nombreux observateurs considèrent cet épisode non pas comme un cas isolé, mais comme l’exemple symptomatique d’un problème bien plus vaste : la capture de la science par les intérêts industriels. Nathan Donley, scientifique au Centre pour la diversité biologique, estime que si cette nouvelle ne suffira probablement pas à modifier la position de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), historiquement perçue comme proche de l’industrie, elle pourrait néanmoins trouver un écho plus important auprès des régulateurs européens. Le débat sur l’avenir du glyphosate est en effet particulièrement vif en Europe, et une telle révélation sur les pratiques passées de son fabricant pourrait peser lourd dans les futures décisions de réautorisation. L’affaire met en lumière la nécessité pour les agences réglementaires de réévaluer leur dépendance à l’égard des études financées par les entreprises dont elles doivent justement encadrer les produits.

Cet événement a mis en évidence la vulnérabilité systémique de la recherche face aux manœuvres des grandes entreprises. John Ioannidis, professeur à l’université de Stanford et spécialiste de la méta-recherche, a souligné que ce cas n’était probablement que « la partie émergée de l’iceberg ». Il a exprimé sa suspicion quant à l’existence de « beaucoup d’articles du même genre », rédigés en coulisses par des acteurs industriels puis signés par des universitaires complaisants, dont les conflits d’intérêts restent non déclarés. La principale difficulté, a-t-il ajouté, réside dans le fait que de telles manipulations sont « très difficiles à révéler » sans un accès exceptionnel à des documents internes d’entreprises, un accès qui n’est généralement obtenu que dans le cadre de contentieux judiciaires. La rétractation de l’étude sur le glyphosate a donc servi de puissant avertissement, démontrant comment une science compromise a pu façonner les politiques publiques pendant des décennies, et a renforcé l’appel à une transparence accrue et à des mécanismes de surveillance beaucoup plus robustes pour préserver l’intégrité du savoir.

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