Face à l’accélération de la digitalisation qui redéfinit les contours de la société, le Conseil fédéral vient de formaliser sa vision en adoptant officiellement la stratégie « Suisse numérique 2026 » . Ce document cardinal ne se contente pas d’énumérer des objectifs techniques ; il établit une feuille de route complète et cohérente conçue pour guider l’ensemble des parties prenantes, des administrations publiques aux entreprises privées, en passant par le monde académique et la société civile. L’ambition première est d’orchestrer une transition numérique qui soit non seulement innovante mais aussi profondément responsable. En intégrant les impératifs écologiques, économiques et sociaux au cœur de sa démarche, le gouvernement s’engage à ce que les avancées technologiques profitent à l’ensemble de la population, sans laisser personne de côté. Cette approche holistique vise à garantir que le progrès numérique renforce la cohésion sociale et contribue à un développement durable, jetant ainsi les bases d’un avenir numérique à la fois prospère et équitable pour la Confédération.
Vers une Souveraineté Numérique Accrue pour l’Administration Fédérale
Le premier pilier de cette nouvelle stratégie nationale se concentre sur le renforcement de la souveraineté numérique de l’administration fédérale, une démarche jugée essentielle pour préserver l’autonomie et la capacité d’action de l’État dans un environnement mondial de plus en plus interdépendant. L’objectif principal est de s’assurer que les infrastructures critiques, les données sensibles et les processus décisionnels de l’État demeurent sous contrôle national, minimisant ainsi les dépendances vis-à-vis de fournisseurs ou de technologies étrangers qui pourraient présenter des risques en matière de sécurité ou de continuité opérationnelle. Cette orientation stratégique se traduit par une volonté de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur numérique, de la conception des logiciels à la gestion des centres de données. Il s’agit d’une réponse directe aux défis géopolitiques actuels, où la maîtrise de l’espace numérique est devenue un enjeu de pouvoir majeur, indispensable pour garantir la stabilité et la protection des intérêts nationaux.
L’atteinte de cette souveraineté passe par des mesures concrètes visant à bâtir une résilience à toute épreuve, particulièrement en période de crise. Le Conseil fédéral entend ainsi promouvoir l’utilisation de standards ouverts et de solutions à code source ouvert (open source) pour réduire les verrouillages technologiques et favoriser l’émergence d’un écosystème local de compétences. Parallèlement, un effort significatif sera consacré à la formation des experts au sein de l’administration et à la mise en place de politiques d’acquisition plus strictes, privilégiant des partenaires fiables qui s’engagent à respecter les normes suisses en matière de protection des données et de sécurité. Assurer que les services publics essentiels, tels que la santé, l’énergie ou les communications, puissent fonctionner sans interruption, même en cas de cyberattaque majeure ou de tensions internationales, constitue la finalité de cette démarche. C’est en consolidant ses fondations numériques que l’administration fédérale pourra continuer à servir les citoyens de manière fiable et sécurisée.
La Suisse en Tant que Pôle Numérique International de Premier Plan
Le deuxième axe stratégique vise à consolider et à étendre la position de la Suisse comme un État hôte numérique de premier plan sur la scène mondiale. Capitalisant sur sa longue tradition de neutralité, de stabilité politique et de respect du droit, la Confédération ambitionne de devenir le havre de paix privilégié pour les données et les organisations internationales. Une attention toute particulière est accordée à la Genève internationale, qui constitue déjà un centre névralgique pour la gouvernance mondiale. L’idée est de créer un environnement de confiance où les organisations non gouvernementales, les agences des Nations Unies et les entreprises multinationales peuvent non seulement établir leur siège, mais aussi héberger leurs infrastructures numériques critiques en toute sécurité. Cette stratégie va bien au-delà de la simple attraction d’investissements ; elle cherche à positionner la Suisse comme un acteur incontournable dans le dialogue mondial sur la gouvernance de l’Internet, la protection des données et l’éthique numérique, renforçant ainsi son influence diplomatique.
Pour matérialiser cette ambition, le plan d’action met l’accent sur le développement de domaines technologiques clés. Il s’agit notamment de renforcer la cyberrésilience nationale à travers des investissements massifs dans les technologies de défense et la formation d’experts en cybersécurité, afin de pouvoir anticiper et contrer les menaces les plus sophistiquées. De plus, la stratégie prévoit de soutenir l’expansion de centres de données hautement sécurisés et écologiquement durables sur le territoire national, offrant ainsi des garanties maximales en matière de confidentialité et de disponibilité. Enfin, le déploiement d’infrastructures cloud souveraines permettra de proposer des services infonuagiques fiables et conformes à la législation suisse, offrant une alternative crédible aux solutions proposées par les géants technologiques étrangers. En combinant une infrastructure de pointe et un cadre juridique protecteur, la Suisse entend offrir un écosystème numérique unique, synonyme de sécurité et de fiabilité.
L’e-ID comme Levier de la Transformation Numérique
Au cœur de la vision du Conseil fédéral se trouve l’introduction de l’identité électronique, ou e-ID, un projet fondamental destiné à servir de catalyseur à la transformation numérique du pays. Cette carte d’identité numérique, qui sera exclusivement émise et gérée par la Confédération, fournira aux citoyens un moyen d’identification en ligne à la fois simple, universel et hautement sécurisé. Elle permettra de prouver son identité de manière fiable lors d’interactions avec des services en ligne, qu’ils soient publics ou privés, éliminant ainsi le besoin de multiples mots de passe et de procédures de vérification complexes. Conçue pour être accessible aussi bien aux résidents suisses qu’aux Suisses de l’étranger, l’e-ID facilitera grandement l’accès aux prestations administratives, comme le dépôt d’une déclaration d’impôts, la commande d’un extrait de casier judiciaire ou encore les démarches liées à l’état civil. Cet outil est perçu comme une infrastructure de base essentielle pour une société moderne et connectée.
Il est important de souligner que, pour garantir l’adhésion de la population et respecter les libertés individuelles, le gouvernement a insisté sur le caractère strictement facultatif de l’e-ID. Chaque citoyen restera libre de l’utiliser ou de continuer à recourir aux méthodes traditionnelles d’identification. Cette approche prudente vise à instaurer un climat de confiance, indispensable au succès d’un projet d’une telle envergure. Au-delà de sa fonction première d’identification, l’e-ID est envisagée comme une plateforme qui ouvrira la voie à de nouvelles innovations. Elle pourrait, à terme, permettre la mise en œuvre de la signature électronique qualifiée, simplifier les transactions commerciales en ligne et même soutenir le développement du vote électronique, sous réserve que les conditions de sécurité et de transparence soient pleinement remplies. En fournissant une clé d’accès numérique fiable et reconnue, l’État jette les bases d’un écosystème numérique plus efficace et plus sûr pour tous.
Une Feuille de Route Évolutive et Concertée
La stratégie « Suisse numérique 2026 » qui a été adoptée ne représentait pas un document figé, mais plutôt le fruit d’un processus dynamique et profondément collaboratif. Consciente que le paysage numérique est en perpétuelle mutation, l’administration fédérale avait conçu cette feuille de route comme un cadre évolutif, actualisé annuellement depuis 2022 pour s’adapter aux nouvelles technologies, aux défis émergents et aux attentes de la société. Cette flexibilité a été la clé pour maintenir la pertinence et l’efficacité des actions menées. La démarche a été marquée par une volonté d’ouverture et d’inclusion, se nourrissant de consultations régulières menées auprès d’un large éventail d’acteurs. Des représentants de la société civile, des leaders du monde économique, des chercheurs issus des plus hautes institutions scientifiques et des autorités cantonales et communales ont tous été conviés à contribuer activement à son élaboration.
Cette approche concertée a permis de s’assurer que les priorités définies reflétaient une vision partagée de l’avenir numérique de la Suisse. En intégrant des perspectives diverses, le Conseil fédéral a pu élaborer une stratégie équilibrée, qui répondait non seulement aux impératifs de compétitivité économique et de sécurité nationale, mais aussi aux préoccupations citoyennes en matière de protection de la vie privée, d’éthique et d’inclusion numérique. Le dialogue constant a favorisé l’émergence d’un consensus autour des grands axes d’action, créant une dynamique positive et un engagement collectif en faveur de la transformation. C’est cette méthode inclusive qui a donné à la stratégie sa légitimité et sa force, la positionnant comme un véritable projet de société, porté par l’ensemble des forces vives de la nation.
