Loin des clichés opposant tradition humaniste et modernité technologique, la question de la convergence entre ces deux univers est devenue une préoccupation centrale pour le monde académique. Le récent deuxième Forum tunisien des sciences humaines et sociales, qui s’est tenu à Hammamet sous l’égide du Conseil de la coopération scientifique arabe, a illustré de manière éclatante cette prise de conscience. En réunissant des universitaires et des conférenciers de Tunisie, d’Algérie, de Libye, d’Égypte, de Syrie et du Soudan, cet événement a posé un diagnostic sans équivoque : la transformation numérique, et plus particulièrement l’essor de l’intelligence artificielle, n’est plus une option mais une réalité incontournable qui redéfinit les contours de la société. Le débat ne porte plus sur la pertinence de cette transition, mais sur les modalités de son appropriation par les disciplines chargées d’étudier l’humain. Il s’agit désormais de déterminer comment les sciences humaines et sociales peuvent non seulement survivre, mais surtout prospérer et guider ce changement profond pour le mettre au service d’un développement durable et équitable.
La Transformation Numérique un Impératif Stratégique
L’idée maîtresse qui a dominé les échanges, portée par la voix de Kadhy Hichem, président du Conseil de la coopération scientifique arabe, est que la maîtrise des nouvelles technologies constitue une urgence absolue pour toutes les sociétés. Le passage au numérique est perçu non pas comme une simple modernisation des outils, mais comme une véritable révolution structurelle qui conditionne le progrès social et économique. Dans cette perspective, les décideurs politiques sont appelés à considérer cette transition comme une priorité nationale, car elle est intrinsèquement liée à la capacité d’une nation à atteindre ses objectifs de développement. L’intégration de l’intelligence artificielle et des technologies associées dans tous les secteurs d’activité est vue comme un levier de performance et d’innovation indispensable. Ignorer cette dynamique reviendrait à accepter un décrochage stratégique, avec des conséquences potentiellement graves sur la compétitivité et le bien-être collectif. L’enjeu est donc de piloter activement ce virage technologique pour en exploiter tout le potentiel au bénéfice de la collectivité.
Face à ce constat, les sciences humaines et sociales se voient investies d’une responsabilité cruciale, loin du rôle passif qui leur est parfois attribué. Leur mission n’est plus seulement d’observer les changements, mais de les analyser en profondeur pour en comprendre les implications éthiques, culturelles et sociétales. Il leur incombe d’élaborer des cadres de pensée et des approches critiques permettant de faire du numérique un véritable outil au service de l’étude des problématiques humaines. Cela implique un renouvellement méthodologique majeur, où les données massives, l’analyse de sentiment ou la modélisation sociale deviennent des instruments d’investigation à part entière. Ces disciplines doivent ainsi démontrer comment la numérisation, loin d’être une menace pour leur existence, offre au contraire des opportunités inédites pour affiner la compréhension des comportements humains, des dynamiques sociales et des évolutions culturelles, contribuant ainsi de manière décisive à un progrès global et réfléchi.
Vers une Coopération Renforcée et des Applications Concrètes
Le forum de Hammamet a été explicitement présenté comme une plateforme destinée à catalyser la coopération scientifique entre les universités et les laboratoires de recherche du monde arabe. Cette ambition de renforcer les liens académiques se matérialise par des partenariats stratégiques, notamment avec les universités de Kairouan, Sfax, Al-Fujayrah et Ouargla. L’objectif est de créer un écosystème de recherche dynamique et intégré, capable de répondre collectivement aux défis posés par la transformation numérique. Une telle collaboration permet de mutualiser les ressources, de partager les meilleures pratiques et de développer des programmes de recherche conjoints qui transcendent les frontières nationales. En favorisant les échanges entre chercheurs et en consolidant les réseaux de savoir, cette initiative vise à construire une expertise régionale solide, capable de proposer des solutions innovantes et adaptées aux contextes locaux. Il s’agit d’un effort concerté pour que le monde académique devienne un acteur clé dans l’accompagnement des sociétés vers l’ère numérique.
Au-delà des orientations stratégiques, les discussions se sont ancrées dans des problématiques très concrètes, illustrant l’étendue des champs d’application. Les conférences ont abordé des sujets variés tels que l’impact direct du numérique sur les méthodologies en sciences humaines, les défis de la fracture numérique pour les personnes en situation de handicap, ou encore les transformations du discours linguistique à l’heure des réseaux sociaux. Un autre axe majeur a été le rôle de l’enseignement électronique dans l’amélioration de la qualité de l’apprentissage, une question devenue centrale pour les systèmes éducatifs. Parallèlement, la tenue du deuxième Sommet scientifique et professionnel arabe des experts juridiques a mis en lumière les implications de cette révolution technologique sur le droit, la justice et la stabilité régionale. Cette convergence des thématiques a souligné à quel point la numérisation est un phénomène transversal qui interpelle l’ensemble des disciplines et des secteurs de la société, exigeant des réponses coordonnées et pluridisciplinaires.
Des Pistes de Réflexion Ouvertes pour Demain
Le forum a ainsi dépassé le simple constat des défis pour esquisser des perspectives d’avenir concrètes. Les échanges ont clairement établi que les sciences humaines et sociales ne devaient plus se contenter d’adapter leurs méthodes, mais qu’elles avaient la légitimité et le devoir de guider les dimensions éthiques et sociétales de la révolution numérique. Les débats ont jeté les bases d’approches académiques renouvelées, soulignant l’impératif d’intégrer la littératie numérique au cœur des cursus universitaires pour former des citoyens et des chercheurs capables de naviguer dans ce nouvel environnement. Le consensus qui s’est dégagé des différentes sessions a dessiné un futur où la technologie et l’humanisme ne seraient plus perçus comme des domaines antinomiques, mais comme des forces complémentaires œuvrant de concert à un développement plus juste et durable. L’événement a donc marqué une étape significative, en traçant une voie vers un engagement proactif des disciplines de la pensée face aux mutations technologiques de notre temps.
